La nuit du cœur sauveur

 

« Toujours noire est la matrice des lumières et des jours passagers. »(1)

Souviens-toi de cela : devenir poreux et se nourrir du lumineux. Laisser entrer cette brèche dans l’épaisseur de la nuit, dé-couvrir la clarté sans contour dans le réel des jours passagers.

Souviens-toi de cela : la vie n’attend que notre écoute pour déployer son souffle singulier et défroisser notre âme. La vie n’attend que notre silence pour faire résonner la musicalité de notre chant, pour faire danser en même temps, l’oiseau et l’écume, le sable et la lune. La vie n’attend que notre présence pour faire battre nos cœurs et s’envoler nos ailes.

Souviens-toi de cela : la matrice est cet or noir qui nous intime d’être là, continuellement là, par delà la lumière projetée du jour sur la réalité fragmentée. Respirer dans sa présence enveloppante, demeurer dans le poids de son silence qui nous ouvre, autant qu’il nous allège et nous libère.

Souviens-toi de cela : comprendre qu’il n’y a plus rien à comprendre mais qu’il y a plus haut à voir et à embrasser : faire confiance et célébrer la vie qui va, qui va, qui va..qui ne s’en va pas, qui ne s’emballe pas, jamais. Si elle s’en va, si elle semble nous échapper, c’est que nous n’y sommes plus. Et Dieu sait qu’Elle nous sommes d’y être !

Souviens-toi de cela : de cette lumineuse gratuité, pur Amour, épiphanie de Vie à l’œuvre à chaque respiration. De cet Amour qui nous invite à lâcher nos certitudes et crispations, nos modes de perceptions habituels. De cet Amour qui nous intime de ne plus saisir le réel en cherchant en parties, ou en morceaux, mais à regarder avec les yeux grands ouverts et transparents depuis l’arrière plan du cœur-océan. Il s’agit alors de se fondre en elle, de se laisser couler dans ce ciel abyssal qui n’a pas de début et qui n’a pas de fin.

Souviens-toi de cela : oui, demeurer dans ce pur accueil prend parfois l’allure d’un combat. Certain jour, ne rien faire est un combat. Expérimenter l’ouvert. S’enraciner dans la sensation d’être. Goûter l’éclat de n’être rien d’autre qu’une étincelle de vie, poussière d’étoile. Un combat gagné d’avance de n’avoir jamais commencé si ce n’est avec nos propres peurs et illusions d’actions vaines. Vaines illusions que d’avoir quelconque prise sur le miracle de la vie et de la création. C’est la vie qui nous dicte la réponse, pas le mental, pas les manuels, pas les injonctions.

Souviens-toi de cela : accepter de se laisser labourer pour rendre notre terre plus meuble et fertile. Se donner la peine de ne rien faire, laisser venir ce qui doit advenir. Cela n’est pas une épreuve, cela n’est pas une défaite, cela est une floraison : il en faut de la foi pour brûler de nouveau et faire briller l’étoile…

Souviens-toi de cela : tenir fort sa boussole intérieure, dans la nuit du cœur sauveur. Écouter la voix qui frissonne plus qu’elle ne raisonne. Avoir confiance en ses pieds racines, demeurer là, bien planté dans son centre, dérouler la marche lente, silencieuse et assurée. Le cap pourra être tenu.

Alexandra, 29 novembre 2024

(1) Jean-Yves Leloup

Visuel : Olivia Fraserat - New Delhi